16h, je suis mort

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8 h, le réveil gueule dans mes oreilles. C’est le Jour J pour tester notre bécane. OK, elle ne paie pas de mine, mais on a grave buché dessus cet été avec Jo et le petit Momo, son frangin.

9 h, j’ai presque mis un panard dehors, quand ça gémit dans la piaule de ma reum. C’est sa façon de m’appeler à l’aide quand sa tête ne va plus très bien. Je fonce dans la chambre, d’un geste elle m’indique le tiroir. Le sol est dégueulasse, des vêtements de tout le monde traînent au sol et ça chlingue la clope. Je lui file sa vélocette*, seule chose qui la rend heureuse, me gronde-t-elle lorsqu’elle voit ma face. Quand d’un coup un corps se soulève à côté d’elle. Il me fixe. Il est vieux et gras. Des poils lui sortent du torse avec une espèce de moustache sous le pif et des chicots cramoisis me sourient.

–  Alors gamin, on ne m’embrasse pas, avec un nasillement de cow-boy. Moi, j’aime bien les petites bouilles.

Alerte au gros pervers, je commence à me relever, lorsqu’il m’attrape par le bras et me soulève. Je pèse 25 kilos tout mouillés, mais crois-moi mon con, tu vas déguster. À peine arrivé devant sa face, je lui flanque un coup genou dans la mâchoire. Des chicots tombent à terre et il chiale. Ce gros porc rage dans ses mains. Avant qu’il veuille me mettre une rouste, j’attrape la lampe en bois sur la table de nuit et lui enfonce dans les roubignoles, sans pitié. Je détale vers la sortie tout en l’insultant de tous les noms.

10 h, je suis le premier arrivé au rencart. Je les vois débouler au bout de la rue, tous les deux, le petit et lui, ils poussent le caddy. Notre caddy, il a de la gueule avec son levier de freinage fabriqué avec un vieux fusil surnommé le manche, et un rétroviseur de motocyclette. Grâce à quelques câbles et un vieux volant de Clio 1, c’est un vrai bolide. C’est Pierrot, qui nous a prêté sans le savoir les outils pour la construction.

11 h, avant le grand saut sur la grande côte du village de Holcomb. On fait quelques révisions, afin d’éviter les crashs. Si notre bolide fonctionne, on le vendra et on pourra en fabriquer d’autres pour devenir Crésus. Avec Jo, on va se tirer loin de ce village mort. On sait que la frontière est à soixante-dix miles. J’ai regardé sur une carte et c’est à 1 doigt d’ici. On peut le faire. Je signale à Jo que pendant deux nuits je squatte sa grange, à cause de l’autre pervers à la maison. Je sais qu’il attend mon retour, sûrement plus que ma daronne ne m’attend. Il se bougera le cul quand elle sera vidée de cette merde. Quelle vie de chiotte ! Jo ne pipe pas mot, car lui aussi connaît la galère, moi se sont les clodos de ma reum, lui c’est pire. Jo crèche sous le même toit que son vieux.

12 h, on décide d’aller gratter, au Korova Milkbar, le petit bar du coin. OK, il n’y a que des losers, mais avec le patron on a un deal. On fait la plonge et il nous file les restes de bouffes après le service du midi. Parfois pour une petite pièce supplémentaire, on lui donne un coup de main pour le nettoyage. Ça fait une petite économie et au moins trois repas sûrs dans la semaine.

13 h, j’aime cette montre, je l’ai tirée à un touriste paumé la dernière fois. La journée, je la fais sonner toutes les heures. Au début, ça a énervé Jo et Momo, mais depuis ils s’en cognent. J’ai l’impression qu’une heure passée me rapproche de mon but ultime, pour sortir de cette vie de merde.

14 h, on est sur la plus haute côte du village, la rue du Colorado. De là-haut, on a vue sur toute la petite vallée, on peut même voir la rivière avec ses roseaux morts. Je m’entasse avec le Momo dans le caddy, on attache nos ceintures, puis on s’accroche aux barres. Ça va ? Le petit opine de la tête. Le Jo lui se met debout sur la barre ou on fourre le lait. C’est lui qui conduit, car il a déjà conduit le tracteur de son cousin une fois. Il me fait signe de lancer le compte à rebours. 1, 2, 3. Et Zoum, c’est parti pour la grande aventure. Très vite, le caddy se met à trembler, je sens toutes les boss sous mon croupion. Première intersection, je prends le manche et serre lentement, le bruit strident me déchire les chicots. Le chariot file à toute allure, Jo me braille quelque chose, mais avec le boucan de la ferraille je ne comprends que dalle. C’est là qu’il me montre le grand carrefour. Merde, j’ai oublié ce détail, à cette heure les voitures sont des bombes. Je fais signe de tourner à la prochaine rue. Mais voilà qu’il me tend le volant, double merde. Momo se met à hurler devant la catastrophe imminente, et à vrai dire, je crains aussi pour nos couilles. Je tire sur le manche de toutes mes forces. Des étincelles jaillissent des roues quand un crack suit et un morceau du fusil se fait la malle comme un lâche. On gueule tous en chœur. Surtout, quand on voit arrivé deux trente-deux tonnes sur le point d’impact. Je sens une chaleur envahir mon derrière. C’est Momo qui me pisse dessus. Et voilà jojo qui quitte le navire, le salaud. En se jetant dans le talus, le caddy dévie de sa trajectoire, mais pas pour mieux.

15 h, on flotte avec les roseaux morts. Mais les ceintures qu’on a fabriquées ne veulent pas s’arracher. Jo arrive en quatrième vitesse. Et reste planté comme un piqué, en faisant des excuses de la mort. Je lui ordonne de détacher son frère avant qu’on se noie. Le petit libéré et ramener sur le bord Jo déboule vers moi. Je sens l’eau rentrée dans mes narines, je me débats avec mon ami, mon frère de vie contre cette foutue ceinture, sentant les dernières bulles d’air s’échapper de ma bouche.

Vélocette: Drogue

Renard Séverine

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