Six minutes

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Dans la pénombre du soir, Antoine observa à travers la paroi de verre ses deux nouvelles victimes. Rien ne se passait comme il le souhaitait. Exacerbé, du bout de ses ongles il gratta le verre. Elles l’ignorèrent. Pourtant Antoine les avait transférées dans une prison plus grande et les avait affamées pendant plusieurs jours. Tout cela pour rien. Personne ne tenta de manger l’autre.

Néanmoins le plan d’Antoine avait été bien tissé. Il les avait choisis avec soin. Chaque détail les avait désignés comme des cobayes parfaits pour sa nouvelle expérience. Il les avait sélectionnées parmi toutes ses victimes, pour cette unique chose que seul lui pourrait voir. À cette pensée, Antoine sentait encore l’excitation quand l’idée avait émergé de son cerveau.

De sa main potelée, il tapa sur la vitre et fit signe à l’un des concurrents de lancer les hostilités, en montrant d’une main l’intérieur de sa bouche puis en se frottant le ventre. Comme si la victime pouvait comprendre sa folie. La seule chose qu’Antoine obtint en retour se furent des martyres prostrées dans leurs coins.

L’attente interminable sema le doute dans l’esprit d’Antoine qui ferma les yeux deux secondes pour réfléchir. Tout à d’abord, il avait donné à ses victimes une alimentation abondante pour les rendre fortes et vivaces. Puis il avait réuni les cobayes dans une petite prison, guettant un drame fulgurant et sanguinolant à souhait. Hélas rien ! Antoine avait décidé de les affamer chacunes dans leurs cellules. Pour enfin les remettre dans la petite prison. Pour finir, il opta pour une plus grande, toujours sans nourriture.

Plusieurs jours s’écoulèrent et nos deux victimes restèrent là, dans leurs coins, sans bouger, comme si un accord tacite silencieux était passé.

À bout de Patience, Antoine désespérait de voir l’inaction. Il aimait voir les choses par lui-même, comment la nature est faite. Jusqu’où peut aller la chaine alimentaire ? Sa curiosité fessait de lui un personnage à part, solitaire. Alors, pour comprendre le mécanisme de ce monde, Antoine étudia les comportements, et il commença avec les plus petits êtres vivants. Mais voilà, Antoine ragea devant ce non-combat. Dans cette attente interminable, Antoine se leva brutalement de sa chaise et partit se réfugier dans sa pièce secrète. Il passa en revue, toutes ses victimes entassées, qu’il détint sous sa coupe et encore aptes au combat.

Pour Antoine, rien de plus facile pour trouver ses victimes. Souvent, il les rencontrait sur le chemin, ou dans des endroits bien isolés. Sa maison se situant à l’égard de toute habitation, il pouvait aisément s’adonner en toute discrétion à ses petites expériences. Démembrements, écartèlements et sans compter sur les différentes façons de mourir ; noyades, feu… Rien ne l’avait arrêté jusqu’ici.

Antoine devant toutes ses prisons de verre, tapa des pieds comme l’enfant gâté qu’il était. Rien ne fit mouche à ses yeux. Les toiles tissées figurèrent sans grandes prétentions. Non, il fallait que ce soit elles. Il retourna s’assoir, fatigué d’attendre.

Dans l’aquarium, on pouvait croire que rien n’avait bougé et pourtant l’atmosphère était différente. Un pacte secret entre nos deux victimes venait d’être passé. Drame il y aura, quand le monstre ronflera.

L’attente ne dura pas. La tête d’Antoine s’installa sur ses bras bien en chaire, ses yeux perfides se cachèrent derrière ses lourdes paupières. Le marchand de sable passa. Dans la maison endormie, les prisonniers se mirent à l’œuvre. La prison avait des failles d’usure rendant le dessus friable comme du papier. Pendant que l’un tissa une sorte de corde, l’autre surveilla. Puis vint l’action, elles introduisirent dans le trou, aussi gros qu’un grain de riz, la ficelle. Puis une fois croché sur le coin l’une tira assez fort pour agrandir l’ouverture. La première effectua un vol vers la sortie, puis se fut le tour de sa comparse d’escalader la paroi pour s’échapper. Mais pas le temps de se faire une toile. La vengeance fit mouche dans leurs cerveaux. Nos deux rescapées profitèrent de cet instant en prenant soin de ne pas vibrer près des oreilles du monstre et partirent délivrer les autres. Elles aidèrent les estropiés à s’extirper de leur prison de verre, et les plus vaillants aidèrent à ouvrir les cages suivantes.

Un attroupement silencieux s’effectua autour d’Antoine. Certains se mirent à l’œuvre en fabriquant un cocon de soie mortelle, comme une couverture protectrice du monde extérieur. Mère nature engendre parfois des monstres, à l’apparence enfantine. Même les plus petites créatures eurent un cœur, face à l’horreur de leurs frères et sœurs, mères et pères ou encore enfants perdus dans ce carnage acharné et gratuit. Le petit peuple réclame justice pour tout ce sang versé. Et ce n’était pas une mort douce et chaleureuse qui attendait ce jeune geôlier.

Alors les mouches et autres insectes silencieux se laissèrent enfermer dans ce cocon pendant que les myriades d’araignées finassèrent de le tisser, puis ils s’introduisirent à leurs tours. La faim tirailla leurs entrailles depuis déjà un long moment et le repas allait être festif. Les insectes volants rentrèrent dans tous les orifices possibles. Tandis qu’araignées et autres insectes rampant mordaient la chair de leur tyran. Coincé dans ce cocon, le petit garçon, Antoine sentit la chaleur montée, des vibrations sonores dans les oreilles le firent sursauter, quand sa peau se mit à brûler. Il devint fou devant tout ce mal. Il tenta d’ouvrir la bouche pour appeler à l’aide, mais les mouches s’y engouffrèrent, étouffant le bruit. Malgré son agitation le cocon tint bon. Il tira sur ses manches comme un forcené jusqu’à les déchirer, mais les insectes grouillèrent sous la chaire formant de boursoufflures. Ses gestes devenus incontrôlables, il s’arracha la peau avec ses ongles pour cesser cette torture. L’insoutenable souffrance lui fit perdre connaissance. Six minutes d’agonie pour réaliser que la curiosité malsaine est un vilain défaut. Six minutes pour que les petites bêtes aient le temps de finir leur repas.

Renard Séverine

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