La haine se trouve chez ma mère

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Cette façon de toquer paraît agressive et trop matinale. L’atmosphère se charge d’ondes négatives. Dans d’autres circonstances, rien ne pourrait me sortir de mon dessin animé. Mes oreilles perçoivent malgré tout, les tons colériques provenant de la cuisine. En dépit de moi, mon corps se crispe et l’angoisse monte. Ma nature curieuse me pousse à descendre de ma chaise, j’emprunte la porte, qui mène vers la querelle et je me glisse entre le mur et le fourneau, d’ici j’observe le débat. Ma mère et sa copine parlent fort, crient, hurlent, font de grands gestes, tel un ballet en dysharmonie. Je ne comprends rien des chants de ces divas, seules des bribes de mots viennent. Pas besoin d’être un génie, pour savoir quelle connerie elle a encore faite.

– Espèce de salope, comment as-tu pu détruire ma famille ?
– Dégage de chez moi, conasse !
– Quand tu auras fini d’écarter les cuisses à tous les mecs mariés.
– Ce n’est pas de ma faute, si ton mari préfère les souris aux vaches. Vire ton gros cul d’ici. Pétasse.
– Je vais te faire fermer ta grande gueule définitivement !

Tout de suite, mes yeux sont rivés sur ce couteau à steak, que l’intruse a apporté. Dans mon esprit, elle n’est plus l’amie de mes parents. Chez qui l’on va passer des soirées, où l’on s’amuse avec des enfants de mon âge. À cet instant précise, elle est celle qui doit partir, celle qui vient de créer un nouveau moment d’horreur. Dans ma simple vie d’enfant de neuf ans. Je sens la rage monter en moi, j’en tremble, j’aimerais hurler, rien, muette. Je ne suis qu’une spectatrice devant cette tragédie, se déroulant sous mes yeux. Elles ne s’aperçoivent même pas de ma présence et continuent leurs déballages insoutenables et affligeants.
– Je vais t’étriper les boyaux, et réduire ton sourire en miette. Personne ne pourra te reconnaître sale pute.

– Tu es folle, ranges ça tout de suite. Tout cela pour ce con, s’il t’a trompé une fois, il recommencera avec une autre. Réfléchi, cervelle de moineau.
– Tu te méprends, c’est en secouant tes fesses de pétasse devant sa tronche que tu la baisais.
– Salope, c’est toi qui n’as pas su garder sa queue dans son pantalon.

D’un seul coup, l’ambiance se remplit de haine, avec un soupçon de meurtre. La prédatrice s’avance vers ma mère, prête à jouer son ultime acte. Elle lève le couteau pour assener son coup à son adversaire, cette dernière arrête son bras et le maintien fermement. Les combattantes se tiennent en lutte, se donnent des coups de pied. Une ribambelle d’insultes fuse dans tous les sens. Dans son action de rage, l’ogresse pousse maman. Celle-ci se retrouve déséquilibrée, à terre, la laissant à sa merci. Par un élan de courage, quand l’assassin soulève son arme, pour lui infliger enfin sa sentence, je me rue vers elle et de toutes mes forces, la pousse. En dépit de mon maigre poids, je la déstabilise légèrement, pas assez pour la faire reculer. Je ne reste qu’un moustique sur son passage. Sans un regard pour moi, perdue dans sa colère, elle m’attrape par mon pyjama et me balance, je vole tel un vieux sac à patates vide. Ma tête et mon dos heurtent le coin du buffet en chêne. Son geste ne lui reste pas en mémoire, comme si cette action n’a jamais eu lieu, elle s’avance de nouveau, vers ma mère. Malgré la douleur, j’essaie de me relever, pour retourner à la charge. Mon seul objectif, la faire sortir de chez nous. Je me redresse, mes jambes refusent d’effectuer leur travail, je ne veux pas capituler, je ne peux pas. Les larmes coulent et les sons qui jusqu’ici me faisait défaut, se mettent à hurler.

– Arrête, noooon ! Je veux que tu nous laisses tranquilles !
– Camille !

Enfin, ma mère réalise que je me trouve là. La furie tourne finalement son visage, déformé par la rage avec ses pupilles injectées de sang. Elle prend tout de suite conscience de son geste et la culpabilité de son geste se lit dans son regard, sans demander son reste, elle choisit la porte et s’en va.
Ma génitrice se relève tremblante, s’avance vers moi, s’inquiétant de mon état. La sorcière est peut-être partie, malgré tout, je ne peux lui en vouloir, pour moi le problème git encore là, sous mes yeux. La haine rôde autour d’elle, telle la puanteur d’un putois. Ses mains s’affairent pour effectuer l’inventaire de mes membres. Elle ne pouvait pas se soucier des conséquences avant de prendre le mari d’une autre, cela a failli lui coûter la vie ou la mienne. Tout cela est de sa faute, rien ne tient la route pour moi, ni dans ses gestes, ni dans son regard, rien. Aucun mot ne trouve de sens dans ses paroles. Seul, ma rage et ma haine sont tournées contre elle, voir comment cette femme qui m’a mise au monde peut détruire des familles. Quelque part au fond de moi j’aurais voulu qu’elle meure, mais dans mon cœur, elle est ma mère. Mes jambes semblent accepter de me porter à nouveau, je la repousse et file au plus vite dans ma chambre. Seul lieu, auquel je sais qu’elle ne mettra pas les pieds.
J’enrage de toutes mes forces, pleure toutes mes larmes afin de vider mon sac. Hurle dans mon coussin, unique confident de mes tristes aventures. Surtout pour les mésaventures, du à sa simple présence. Une fois les tremblements de mon frêle corps calmés, j’accomplis l’inventaire de mes dommages devant le miroir. L’adrénaline s’évapore, mes bleus inscrits dans mon dos me font souffrir, comme pour ne pas oublier trop vite. Je passe mes mains dans les cheveux, je sens l’énorme bosse qui est déchirée sur le dessus, le peu de sang à coller ma crinière à la racine. Avec ma trousse à pharmacie de fortune, je panse mes blessures. Je me plonge dans ma seule échappatoire du monde réel, le dessin.
Ma mère, ce jour-là, comme les autres fois et les mauvais moments qui précéderont, ne me suit pas pour me réconforter, ne me consolera jamais pour les cauchemars à venir. Depuis cette histoire, les jours, les mois, les années sont passés, et elle reste et restera à jamais enterrée dans ma mémoire. Mais aussi, dans celle qui a créé cette matinée d’horreur et de haine.

Renard Séverine.

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