Lutte au féminin

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_ T’en as mis du temps, à monter la colline.

_ J’ai hésité à venir… écoute Lucile, on devrait en rester là.

_ Pourquoi ? On s’amuse bien tous les deux.

_ Imagine les conséquences si on se fait choper.

_ Monsieur Damien a les chocottes !

_ Moque-toi ! Je suis inquiet pour toi.

_ Arrête un peu, allez, file-moi le sac à dos !

_ Tiens, voilà les vêtements ! Cette fois-ci, évite de les trouer. Tu vas faire comment pour… enfin tu vois, l’autre jour c’est passé ric-rac.

_ Ma poitrine ! Je gère. J’ai réussi à voler des bandages. Je vais m’entourer avec ça et ils vont s’aplatir.

_ Épargne-moi les détails, Lucile ! Juste un « je gère » m’aurait suffi. 

_ OK Monsieur « je rougis » ! Tourne-toi pour que je puisse me changer et n’oublie pas de guetter entre les arbres si quelqu’un vient.

_ Un jour, tu ne pourras plus cacher tes rondeurs, aussi magnifiques soient-elles et les copains découvriront que tu es une fille.

_Pire… qu’ils se sont fait battre au foot par une fille. Imagine un peu la tête de Bastien macho comme il est ! Je crois qu’il n’y survivrait pas.

_ Pour se venger, il irait tout balancer à ton père et merci les ennuis. Sans compter que je suis ton complice.

_ Pauvre petit ! Il a peur pour ses fesses.

_ J’ai plutôt peur pour les tiennes. J’avoue quand on était plus jeune, c’était excitant. Maintenant, on prend trop risque. Arrête de lever les yeux au ciel, tu sais que j’ai raison.

_ Tu as apporté mon précieux ?

_ Oui, dans la poche avant du sac à dos, et j’ai réussi à ouvrir un compte internet. Si ton père…

_ Mon père ! Tu parles de ce machiste arrogant qui rentre bourrer à la maison, et tape sur ma mère. On est en 2020, même pour faire du foot, je suis obligée de me déguiser en mec. Nous les femmes, on n’a même pas accès à notre propre compte internet, ni portable et sans parler d’argent. On est au XX° siècle Damien, nous aussi on veut profiter du monde moderne. Prends ma place ! Vas-y, je t’en prie, je te la donne.

_ Calme-toi Lucile ! On va finir par nous repérer, si tu continues de hurler comme ça. Finis d’enfiler ton pantalon et viens on s’assoit sur notre rocher.

_ Je suis désolée. Tu sais un jour je rejoindrais les rebelles féministes.

_ Certaines personnes disent que ce sont des terroristes. 

_ Ces personnes-là regardent mal les infos, jusqu’ici, nos actions ne sont que pacifistes. Pour ta gouverne les seuls qui se font tuer, c’est notre clan. Regarde cette femme qui est passée à la télé, les forces de l’ordre n’arrivaient pas à la séparer de la grille du gouvernement. Une fois qu’ils l’ont délogé, on a retrouvé la femme quelques jours plus tard morte dans les caniveaux de la seine. Violée et défigurée.

_ Tu parles comme si tu en faisais déjà partie. 

_ Un jour, j’espère.

_ Regard, à chaque fois que je monte sur cette colline, j’ai l’impression que le monde s’offre à moi. J’observe les gens danser en harmonie entre les ruelles, ainsi que les vas et viens des voitures. Pour moi, vu d’ici, le monde n’a pas l’air de tourner si mal que ça, sans vouloir te vexer. Que te faut-il de plus, Lucile ?

_ Tu ne regardes que la surface des choses. Tu dis que le monde tourne rond alors que toi-même, tu ne supportes pas mon père. Au lycée, il y a des bruits de couloir sur une certaine femme qui aurait vécu pendant la Révolution française. Cette dernière aurait été guillotiné pour avoir écrit des choses sur les droits de la femme. Après sa mort, ses écrits ont été brûlés, mais sont restés dans les mémoires et transmis de génération en génération par chuchotement. Je suis sûr que le gouvernement l’a assassiné, car il savait que ses écrits étaient justes.

 _ Enfin, assassinée… c’est vite dit… et puis, tous les hommes ne sont pas comme ça.

_ Ne commence pas à me contredire Damien ! Si ses paroles avaient été prises en compte à l’époque, aujourd’hui, nous pourrions aller au même lycée, ou peut-être qu’il porterait son nom : Olympe Gouge. Nous aurions aussi le droit de vote. Je rêve de me battre pour ma liberté et celle des femmes. Où l’égalité ne se mesure pas à la longueur de son sexe. Je veux vivre des aventures, et non-être enfermés par un mari masochiste.

_ Sauf si c’est moi ton mari ! J’ai toujours admiré ta force de caractère. Lucile, regarde-moi, s’il te plait. Dans ma famille, on est plus ouvert que tu le crois. Deviens ma femme, je te rendrais heureuse comme tu le mériterais.

_ Je n’épouserai personne, Damien ! Pas tant que la liberté des femmes ne sera pas reconnue. Hors de question de me laisser piéger dans un mariage où l’égalité ne règne pas, je préférais mourir. Ne sois pas en colère, comprends-moi.

_ Je ne suis pas en colère, juste déçue. Tu préfères rester piégée sous l’autorité de ton père ?

_ Jamais de la vie ! Je m’enfuirais pour rejoindre le groupe « La société des droits de la femme », je sais qu’il y a un contact dans les environs. J’ai trouvé comment les approcher en piratant un site internet. Je veux en être. Pour avoir le droit de voter, m’abonner à internet et posséder un smartphone, pouvoir travailler, faire le métier de mes rêves. Toutes ces choses qui nous sont refusées. Si je dois mourir, ce sera en luttant.

_ Moi dans tout ça ?

_ Ne fais pas ta tête de Chat Potté. Je ne résiste pas à tes perles bleues… Je ne vais pas te mentir, dans d’autres circonstances… Mais ma vie est vouée à la cause des femmes et avec mon génie informatique je pense pouvoir les aider.

_ C’est vrai que les codes et tous ces trucs n’ont aucun secret pour toi. Lucile, je crois qu’on a un problème, regarde qui vient par là !

_ Mon père, il a l’air furax, mon voisin a dû me balancer, je suis dans la merde, pire il va me tuer. Habillez en garçon et en plus il nous a vues ensemble.

_ Tiens prend le sac, cours voire ma mère elle te guidera vers la résistance féminine.

_ Quoi ?

_ Dépêche Lucile ! Je vais le retenir.

_ Pourquoi ne pas me l’avoir dit plutôt ?

_ Je devais être sûr, et ma mère voulait attendre que tu sois vraiment prête. Là, pas le choix, fonce !

_ Damien ! je… Enfin merci.

Renard Séverine

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