Elle se balançait gaiement

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La fin de cette histoire n’est pas de toute gaieté. Sauf pour cette demoiselle qui, béatement, se balançait. Celle qui encore ce matin, s’impatientait devant la fenêtre de la cuisine. Surtout quand le facteur prit enfin l’initiative de s’engager dans le chemin menant jusqu’à sa maisonnette. Chamboulée par tant d’émotion, elle saisit la lettre tendue et congédia le facteur en le remerciant à peine. 

La jeune jouvencelle ouvrit la missive, le cœur serré, les yeux noyés de larmes. Voilà plus d’un an, jour après jour qu’elle espérait avoir des nouvelles de son bien aimé mari. Sur le papier, les lettres se chevauchaient, ce qui laissait peu d’espace pour respirer. La feuille tremblait dans ses mains. Une fois la lecture finie, la fiancée serra fort contre son cœur son nouveau trésor. La nouvelle resta courte, mais précise et attendue. Malheureusement, à l’aube de leur mariage, le 19 décembre 1949, il fut engagé à la guerre de l’autre côté de l’océan. 

Bien sûr, avant de la quitter, et en tant qu’homme respectable, le fiancé installa sa promise dans une demeure choisie avec soin. Un doux foyer situé sur une colline, non loin de la ville. La veille de son départ, nos deux amoureux s’étaient encore attardés sur le balcon de leur chambre. Ils rêvaient à leurs futurs petits bambins joufflus courant dans toute la maison. Ce toit serait le témoin de leur amour éternel. 

Chaque jour et devant chaque coucher de soleil sur cette même balustrade, la jeune fiancée dévora chacune de ses lettres. Au début, elle avait des nouvelles tous les quinze jours. Puis une fois par mois. Pour finir, les lettres se réduisirent à peau de chagrin, comme celui qui habitait son cœur. Voilà cinq ans que la guerre faisait des ravages. L’attente fut longue. Pendant un an, la jeune fille resta sans nouvelle, mais gardait peu d’espoir de le revoir un jour. Enfin, la providence répondit à ses prières. 

Toutefois, avant de partir précipitamment, elle écrivit une lettre. Une avec de la tendresse et peu de reproches, qui expliqua juste son départ et son envie de vouloir rejoindre son mari. Sachant d’avance que ses parents n’approuveraient pas sa décision, sans même chercher à la comprendre. Pour eux, cette guerre était une façon de pouvoir récupérer leur fille. En lui trouvant un homme plus noble avec une belle promesse d’avenir. Leur princesse n’étant pas encore passée devant le curé, tout espoir n’était pas perdu. 

La jeune promise se hâta. Une robe jaune claire jaillissait de l’armoire, volant, tourbillonnant dans les airs. Elle enfila la robe, celle que son fiancé préférait, orna ses cheveux de jolies fleurs. Elle planifia chaques détails. Rien ne devait être laissé au hasard. Le cœur enjoué, la tête en fête, rien ni personne ne pouvait gâcher cette journée. La maison s’apprêta de senteur florale. Des bouquets champêtres s’étaient exposés sur la table, prêts à recevoir des invités pas encore invités. Bientôt, ils allaient être réunis. 

Le soleil commença à décliner. Une brise légère s’engouffra dans les pièces et la fit frissonner, sonnant l’heure du départ. Elle prit le temps de mettre en évidence sur la table son enveloppe écrite dans une calligraphie parfaite, « À mes chers parents. » Puis d’une gestuelle presque habituelle, peut-être plus enjouée que d’habitude, elle referma chaque fenêtre du bas vers le haut. La jeune promise finit par le balcon de sa chambre et, sans aucune peur, monta sur la balustrade. Devant ses yeux s’étalait un paysage doré par un soleil couchant qui lui réchauffa à peine le visage. Ce même crépuscule qui avait vu nos amoureux prêter serment. Cette promesse un peu bête que l’on fait sans réfléchir parfois, d’un amour naissant « Rien ne pourra nous séparer, pas même la mort ». Notre demoiselle y croyait fort à cet engagement. Elle enfila son collier de corde préalablement bien noué. Tel un ange, elle s’élança dans le vide vers l’amour de sa vie. Tout portait à imaginer qu’elle avait enfin rejoint son fiancé, car personne n’avait jamais vu de morte plus souriante et rayonnante que cette jeune fille au bout de cette corde.

Renard Séverine

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