La première pénétration

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La première pénétration, la seule qui compte. Les autres, rien qu’un marqueur de plus sur la ligne de vie. De plus en plus anodine, s’infligeant une euphorie supplémentaire, une abondance fiévreuse. La dernière, peut-être, reconquérir un besoin compulsif, obsessionnel…

La première reste toujours la première. Ça commence bien avant la première pénétration. L’excitation de l’instant, la fièvre du démon, l’adrénaline de l’antidouleur. Sur la peau tiède, la lame damnée qui la délivrera de cette souffrance remonte lentement le long de la jambe, suivant les courbes de la délectation, ce mélange de plaisir, de tourment pour atteindre l’assouvissement. La première pénétration parcourt jusqu’à l’antre de la cuisse, avec une conviction instinctive. En fait tout est écrit : la sensation, juste assez forte, assez profonde, pour l’exquise perfection ; l’antidote évacue la morosité. Accentué d’un gémissement retenu, un soulagement de souffrance pénètre la fine peau dans un déchirement de plaisir pour oublier le monde cruel, endurer pour se sentir en vie, renaître, remplir à nouveau ses poumons de cette jouissance. La sensation trompeuse d’une délectation inépuisable, contrôler ce corps avide d’émotion forte… Pourtant, la croyance demeure.

Tout le mauvais s’évade de la tête. Laissant l’instrument retomber à côté de ce corps en transe, l’âme se redresse pour se contempler dans ce miroir. Admirant la couleur rubis, qui coule le long de la jambe telle une ligne de vie expulsant avec elle tous ces sentiments de haine, de vide, de frustration… Dans l’attente du prochain rituel de sagesse, tel un junkie qui attend sa dose.  Prétendant maîtriser ce fardeau qui vient à la fois de s’accomplir et de s’insinuer dans le cœur.  Lisant sur l’instant la satisfaction de ce reflet. L’incision dévoile une ligne discrète, soignée, coupée par le scalpel qui vient d’être souillé. À la souvenance, on peut s’interroger en récriminant une automutilation de plus sur cette vie imparfaite. On aimerait garder ce secret capricieux de l’incision et l’enfermer dans cette jouissance égoïste.

Mais devant le petit mouchoir blanc éclaboussé de sang, l’adolescente au fil du temps pénètre de plus en plus profond avec de moins en moins de délectation, d’embrasement. C’est une friandise amère : entailler pour oublier la première pénétration, comme pour oublier la première gorgée de bière.

Renard Séverine

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