Promis, IL ne reviendra pas

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_ J’ai peur maman.
Maman s’arrête au milieu des marches qui mènent vers la grande bâtisse. Elle me fait cette même promesse.
_ Jonas, mon ange, ne t’inquiète pas, ton père sera peut-être là, mais il ne s’approchera pas de nous.
Maman me prend dans ses bras. Je sens son doux parfum de gâteau au chocolat, cela me rappelle le peu de jours où tout allait bien. J’aimerais la croire de tout mon cœur. Elle me répétait souvent qu’IL ne reviendrait jamais. Je pense qu’elle se mentait à elle-même. Pour se rassurer sûrement. Parfois, IL partait une semaine, parfois plus. Et toujours, IL réapparaissait. Ça ne dura jamais bien longtemps. IL rentrait avec des cadeaux et de belles paroles. Puis, IL nous cognait encore et encore. Je ne comptais plus les bleus sur nos corps et les os brisés. À quatre ans, je connaissais déjà le goût du sang. Pour nous soigner, on parcourait des kilomètres pour changer d’hôpital et maman inventait à chaque fois une nouvelle excuse. Chute dans les escaliers : le grand classique. Bagarre à l’école, tomber dans la baignoire. Il y en a eu des mensonges. Je la maudissais de temps en temps de lui accorder une nouvelle chance, et de le laisser recommencer.
Je me souviens de la dernière fois. IL rentra d’une soirée bien arrosée. Maman et moi, nous nous étions endormis sur le canapé en regardant un film. Quand IL nous aperçut, IL claqua la porte. Mes sens en alerte, je sautai hors du sofa pour me cacher derrière. Devant ses yeux si sombres et son visage écarlate, je priai Dieu de nous prendre pour mettre fin à ce calvaire. Maman, toujours sur le canapé, pétrifiée par la peur. IL lui fonça dessus tel un taureau furieux, et martela maman de coup poing en lançant des injures et des paroles incompréhensives. Maman essaya de lui échapper, mais IL la ramena à lui. Une fois satisfait, IL la porta à bout de bras et la projeta avec violence sur la table basse en verre. Le bruit fut un mélange de verre brisé et de cris de douleur, insoutenable à mes oreilles. IL se redressa de tout son être, fier de lui. Moi je bouillonnai de l’intérieur. Prenant mon courage à deux mains pour l’affronter. Du haut de mes 10 ans et de toutes mes forces, je lui fonçai dessus. IL ne bougea pas d’un centimètre. Je levai la tête et sa rage remplit de nouveau son visage. D’une main, IL m’attrapa par le cou et me souleva à sa hauteur, IL puait l’alcool et la cigarette. De l’autre, IL me frappa sans ménagement dans le torse comme dans un sac de boxe. J’entendis mes côtés se casser et sa main se resserrer sur mon cou. Quand son regard noir croisa le mien, IL m’envoya un coup de boule. Et mon corps atterrit auprès de ma mère tel un pantin désarticulé.
Quand j’ouvris les yeux, ma mère avec son doux sourire m’attendait. C’est là qu’elle m’annonça avec sa voix d’ange : « Tout est fini maintenant, nous ne souffrirons plus et ton père ne te fera plus jamais de mal, je te le promets. ». Au début, des inconnues ont envahi notre petit appartement, prenant des notes de l’événement et des photos. Maman m’expliqua chaque étape, avec des mots simples et pour que je comprenne bien. Ensuite ce fut autour de la famille, ils assirent sur le sofa et nous demandaient pardons. Leurs regards n’osaient croiser le nôtre, leurs douleurs et leurs hontes se ressentaient dans leurs paroles. Maman et moi, nous les avons écoutés et pardonnés, ce n’était pas leurs fautes. IL les faisait tous fuir, en les menaçant de s’en prendre à eux. Seule Mamie, la mère de maman lui avait tenu tête. Mamie lui répéta sans cesse qu’elle était une pointure dans son domaine et qu’un jour, elle le fera tomber. Mais un jour en rentrant de l’école, maman était tellement triste. Elle me disait que mamie ne reviendrait plus jamais nous rendre visite. IL avait gagné. On se retrouva seul face à lui, jusqu’à maintenant.
Aujourd’hui, devant ce grand bâtiment nous tournons enfin la page. En haut des escaliers, j’aperçois mamie dans sa robe blanche. Mamie nous explique quelle venue à notre rencontre pour nous aider à traverser ce moment. Maman, mamie et moi pénétrons main dans la main dans l’immense salle. Les murs sont décorés de pierre blanche et la lumière fait de la couleur sur le plafond. C’est impressionnant, cela m’effraie en même temps. Devant nous se présente une grande allée, et de chaque côté des personnes familières sont assises, dont ceux qui sont venus nous rendre visite. Ils n’ont pas l’air très heureux, des sourires crispés se dessinent sur certains visages.
_ Ne t’en fais pas Jonas, tout va bien se passer. Murmure maman.
On traverse toute l’allée, mamie nous indique notre place et dit :
_ Il faut attendre maintenant la fin.
Un homme habillé en noir et blanc rentre dans la salle et tout le monde se lève. J’ai oublié son nom, mais c’est une personne très importante. La porte en bois de derrière s’ouvre, IL pénètre dans la salle, suivi de deux hommes en costume. J’essaie de ne pas paniquer, mais la peur m’envahit. IL s’assoit de l’autre côté de l’allée à la même hauteur que nous. Discrètement, je l’observe, un rictus diabolique envahit son visage. Des voix s’élèvent dans la salle, voulant qu’IL parte et je le souhaite aussi. L’homme en robe noir et blanc tape sur le micro, un son strident envahit la pièce, il demande le silence et tout le monde l’écoute.
Le maître des lieux se lance dans un discours. Je comprends qu’il parle de moi, de maman et de la vie qu’on a menée avec lui. Puis il laisse la parole à d’autres personnes, chacun exprime ses sentiments sur la situation. Parfois les discours sont tristes, beaucoup de gens pleurent derrière nous. Maman pose sa main sur mon épaule, cela m’apaise.
L’homme en noir et blanc montre des photos de maman et moi, exposées sur un chevalet. J’observe la scène sans prêter attention à la suite. Les personnes se lèvent, quand une lumière attire mon regard. Maman et mamie m’annoncent que c’est le moment de partir.
Nous marchons aux sons des cloches, nous laissant envahir par cette lumière blanche et chaleureuse.

Renard Séverine

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